Une fragilité déstabilisante qui se renforce

Les canonnades et les bombardements meurtriers s’intensifient dans l’est de la Syrie où les forces de Damas et de la Russie s’affrontent à fleurets non mouchetés avec l’armée turque. Ne parvenant pas obtenir l’instauration d’une zone tampon destinée à accueillir le million de déplacés syriens qui y sont réfugiés afin qu’ils ne pénètrent pas en Turquie, Recep Tayyip Erdogan exerce une pression maximum sur les autorités européennes en menaçant d’ouvrir les portes vers l’Europe aux réfugiés. Il avait auparavant tenté, sans succès, que se tienne une rencontre quadripartite avec la Russie, la France et l’Allemagne.

« La communauté internationale doit prendre des mesures pour protéger les civils et mettre en place une zone d’exclusion aérienne », a déclaré la présidence turque, mais comment les autorités européennes pourraient-elles l’obtenir des dirigeants russes ? La fragilité du cantonnement des réfugiés sur les marges de l’Europe se confirme de jour en jour, alors que dans les iles grecques le gouvernement perd le contrôle d’une situation qui dégénère.

En ces temps de coronavirus, la question des barrières et de la fermeture des frontières – qui serait toute aussi vaine – se pose aussi. Faute de pouvoir se protéger des périls qui s’accumulent, un sentiment de grande fragilité déjà très répandu se renforce. On connaissait déjà celle du système financier, celle de notre écosystème a depuis pris le relais dans l’actualité et nous mesurons notre fragilité sanitaire. Combinée à celle de la finance, cela donne la dégringolade boursière qui s’intensifie. Aux États-Unis, l’indice de la peur – le VIX – s’envole comme lors des pires jours de 2018. Entre la purge et la correction, les commentateurs boursiers rivalisent d’images.

L’arrivée de la technologie « 5G » et l’avènement de « l’Internet des objets » ne va pas arranger les choses. Nous entrons dans l’ère du tout connecté, véhicules, montres, mobilier urbain, caméras de surveillance et même bétail. Nous-mêmes le serons avec nos vêtements. Les experts estiment que les nouveaux réseaux pourront supporter plus de 100.000 objets au kilomètre carré. D’incontestables services pourront être rendus, mais cela représente surtout une mine pour ceux qui recueilleront les données. Celles-ci étaient déjà considérées comme étant le nouveau pétrole, elles vont maintenant devenir de l’or.

Mais cette interconnexion entre toutes nos activités est porteuse de grands dangers. Non seulement le piratage des données par des malfaisants, que ce soient celles des particuliers, des entreprises ou des administrations, mais également celui de l’espionnage, ou pire d’un blocage entrainant la paralysie d’activités y compris à l’échelle d’un pays. La guerre numérique est promise à de beaux jours et tous les États-majors s’y préparent.

On trouve dans l’actualité matière à illustration de ces enjeux sécuritaires. L’administration américaine exerce une forte pression afin d’empêcher l’utilisation de la technologie chinoise d’Huawei et les gouvernements européens, qui se refusent à l’interdire, prennent néanmoins des mesures limitant son implantation dans les futurs réseaux. Mais les autorités américaines ne sont pas blanc-blanc, en raison du Cloud Act, cette loi qui leur donne un accès sans restriction aux données stockées sur les grands serveurs Cloud qui sont américains, à l’insu de tous, particuliers, entreprises, États…

Le sentiment de fragilité n’est pas prêt de se dissiper, ses conséquences non plus. Mais comment tourner la page ?

5 réponses sur “Une fragilité déstabilisante qui se renforce”

  1. Sur la situation en Grèce, plus précisément les cinq iles grecques très proches du rivage turque:
    http://www.greekcrisis.fr/2020/02/Fr0767.html#deb

    Je vais m’avancer au-delà de la prudence:
    Les migrants contrôlés par Erdogan sont des pions dans son jeu de chantage et d’extorsions tout azimut. La façon la plus raisonnable d’en finir serait qu’il reconnaisse son aventurisme et libère toute la Syrie, en particulier la zone d’Idlib, de son occupation militaire. Ce n’est pas une place légitimes pour les forces armées turques. Et ce faisant qu’il cesse de soutenir les terroristes islamistes à sa botte à Idlib, à Afrin, à Jarabulus-El bab et à Gire-Spi(Tel-Abyad) – Serê Kaniyê.
    Laissons les syriens se réunir et règler leurs affaires entre eux. Ils faut avoir confiance qu’ils en sont capables. Une mauvaise affaire ne comporte pas de bonnes solutions.

  2. François, c’est une bien belle formule : « le renforcement d’une fragilité déstabilisante » ! Comment mieux dire ?
    J’apprécie particulièrement que tu évoques la 5G dans un billet où apparaissent la tragédie syrienne, le krach boursier en cours et la pandémie du corona virus à venir.
    Paul Jorion nous a donné un concept opératoire, le Soliton, qui prouve sa puissance dans l’actualité de l’effondrement en train de s’amorcer. Or une des composantes du Soliton peut être parfois un peu oublié devant les deux autres (crises financière et environnementale) : la complexité non maîtrisée. L’avènement de la 5G va l’amplifier. Comme tu le souligne, des dangers colossaux peuvent survenir car aucune création humaine n’a jamais été épargnée d’une catastrophe (tout Titanic appelle son iceberg…). Un contrôle totalitaire va se mettre en place, ou tout simplement s’approfondir, et nul n’y échappera. Payer sa baguette ou prendre un TGV : la solution que j’ai choisie (ne pas avoir de smartphone) me sera bientôt impossible.
    Qui a voulu la 5G ? Qui en a besoin ? Est-il encore possible d’empêcher la mise en place de la 5G ? Les réponses sont implicites : personne !
    Ces questions sont résumées dans ta dernière question : « Mais comment tourner la page ? ».
    Pourquoi ne pas repenser à la voie luddite ? En leur temps les Luddites ne pouvaient pas vraiment connaître la solution de Sismondi. Mais nous, nous pouvons avoir cette réflexion, ce recul (merci Jorion) : taxer les machines et les robots mais aussi détruire ou empêcher le développement de ceux qui sont nuisibles, comme la 5G (…ou les SUV).

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